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Développer un langage commun pour dire ses émotions

© Istock
Entre conjoints, cela ne coule pas de source. Toutefois, cela peut se développer. Entretien avec Fabienne Dubath, infirmière spécialisée en suivis de couples et familles. Dossier: Vivre et dire ses émotions, ça s’apprend!
Sandrine Roulet

Dans un couple, exprimer ses émotions peut être naturel pour l’un mais compliqué, voire risqué, pour l’autre. Que mettre en place?
Il s’agit de métacommuniquer: de prendre le temps de parler de ce qu’on vit dans la relation, notamment au niveau des émotions et débriefer après des moments chargés émotionnellement. Soyons à l’écoute de l’effet de nos paroles et actions sur les émotions de l’autre et vice-versa.
Ensuite, le couple peut réfléchir à la manière de créer une base suffisamment sécurisée pour oser parler de soi: quel est l’espace que nous définissons pour exprimer nos émotions?
Prendre conscience de l’héritage émotionnel de chacun est aussi utile: si on comprend le contexte émotionnel familial de son conjoint, on pourra peut-être mieux comprendre ses réactions. Et si l’héritage est trop chargé, demander une aide extérieure peut s’avérer nécessaire.

Le conjoint le plus à l’aise peut-il rassurer l’autre?
Exprimer ses émotions, c’est ouvrir une porte sur son intimité. Cela peut faire peur, surtout si on n’a jamais eu l’occasion de le faire ou qu’on a eu de mauvaises expériences. Commençons par remplir mutuellement nos réservoirs affectifs, pour construire une base de confiance rassurante (paroles valorisantes, entraide, surprises, etc). Puis écoutons notre conjoint avec bienveillance, sans faire de commentaire, afin d’entrer en douceur dans son univers affectif. Laissons-le libre de parler ou non. Il s’agit aussi de créer des occasions spéciales: on ne partage pas ses émotions en vitesse, ni dans n’importe quel cadre!

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Comment s’exprimer pour que l’autre comprenne nos émotions, sans se sentir mis en cause?
Dans La danse du couple (Hachette), le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez propose ces éléments, que je trouve intéressants, pour sortir du cercle vicieux des accusations réciproques: parler de soi plutôt que de l’autre, exprimer des demandes plutôt que des reproches, échanger sur la relation plutôt que sur le partenaire et accepter que chacun est, à son niveau, responsable de la souffrance du couple.

Quels mots pourrait-on utiliser pour exprimer sa colère sans blesser?
La colère dénonce une injustice, un empiètement de territoire. Je peux donc exprimer à la personne concernée en quoi je sens que mes limites n’ont pas été respectées. Par exemple, «quand tu prends cette initiative tout(e) seul (e), je constate que tu ne prends pas mon avis en compte et je ne me sens pas respecté(e). Cela me met en colère.» Ensuite, je peux aussi exprimer mon besoin: «Il serait important pour moi qu’on puisse prendre ce genre de décision ensemble!»
Pour pouvoir verbaliser ainsi sa colère, il faut choisir le bon moment et prendre un peu de recul face à l’offense pour être calme intérieurement.

Pourquoi culpabilise-t-on parfois face à l’émotion d’une autre personne, qui se sent par exemple triste ou frustrée?
Etre en contact avec une émotion forte d’un proche nous donne envie d’agir ou de réagir. Nous imaginons devoir faire quelque chose, nous nous chargeons d’une «mission»: rassurer la personne qui a peur, quitte à nier ou banaliser son émotion: «Mais non, il ne faut pas avoir peur, ça va bien aller.» Cependant, chacun est responsable de ses émotions. Nous n’avons ni le devoir, ni le pouvoir d’influencer celles de l’autre. Cela peut conduire à un grand sentiment d’impuissance: ce n’est pas très confortable d’«être juste là avec l’autre».
En même temps, c’est à cette place que nous pouvons vraiment l’aider. La personne en souffrance a besoin d’écoute, de validation et d’amitié. Pas forcément de conseils ou de solutions.
Ecouter l’autre nous renvoie peut-être à nos émotions. C’est important de pouvoir soi-même apprivoiser les siennes, pour avoir moins peur de celles d’autrui.

Qu’enseigner à ses enfants concernant les émotions?
Les liens affectifs que l’enfant partage avec ses proches lui donnent la sécurité nécessaire pour apprivoiser ses émotions, les exprimer à sa façon. Les parents sont des modèles en ce sens. Ils peuvent nommer l’émotion que l’enfant est en train de vivre pour qu’il se familiarise avec elle: «Hé, tu as l’air très fâché. Je comprends que tu le sois.» Puis lui apprendre quelles sont les limites acceptables pour l’exprimer. «Tu as le droit d’être en colère, mais tu ne dois pas pour autant taper ton frère.»
Finalement, les parents peuvent réfléchir à la façon dont ils expriment eux-mêmes leurs émotions. Nos enfants nous observent! Un enfant qui s’exprime volontiers se retirera peut-être dans son monde secret à l’adolescence. Il est important de montrer sa disponibilité à écouter et lui donner l’autorisation de se taire!
Et pour les parents d’enfants plus âgés: il n’est jamais trop tard pour exprimer ses émotions envers ses grands enfants! Je rencontre beaucoup d’adultes qui recherchent encore désespérément une reconnaissance parentale et un partage émotionnel avec leurs parents.

Propos recueillis par Sandrine Roulet

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