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Le jour où le divorce de mes parents m’a ratrappée

© iStockphoto
Antschana Schaar livre une chronique du début de sa vie de couple, marquée par un passif lié au divorce de ses parents. Accueilli initialement comme une délivrance, celui-ci s’est rapidement mué en blessure existentielle. La jeune femme a alors choisi la fuite en avant, laquelle a failli lui coûter son ménage.

Quand jʼavais quinze ans, ma mère mʼa dit quʼelle allait divorcer de mon père. Ma première réaction a été le soulagement. La vie avec mon père nʼétait pas facile. Je savais quʼil mʼaimait, mais je ne ressentais pas son amour. Les quelques phrases positives quʼil mʼadressait ne faisaient pas le poids avec les nombreuses paroles négatives et même écrasantes.

La vie à la maison ressemblait à la traversée dʼun champ de mines. Jʼétais toujours sur le qui-vive pour ne pas fâcher mon père, sans savoir quand la prochaine «bombe» allait exploser sous forme de paroles désagréables et coléreuses.

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L’annonce du divorce sonnait donc comme une délivrance: enfin la paix, de la place pour moi, pouvoir respirer à nouveau, être en sécurité. Cʼétait ce que je pensais. Puis jʼai été frappée en plein cœur, avec une force qui mʼa fait perdre lʼéquilibre: «Nous ne sommes plus une famille.» Jʼétais soudain seule. Impuissante. Abandonnée. Déracinée. Sans-abri. Sans fondement.

Seule au monde

Le champ de mines appartenait au passé, mais je nʼavais plus de fondement sur lequel poser mes pieds. Je me sentais flotter seule dans lʼespace. Je ne savais plus ou était le haut ou le bas, la droite ou la gauche, jʼétais désorientée et sans soutien. Ma tête, malgré ses explications rationnelles et sa logique, était entrainée dans lʼabîme.
Je me souviens dʼun soir où jʼétais couchée dans mon lit et où je pleurais comme un bébé: «Pourquoi mʼavez-vous abandonnée? Jʼai besoin de vous, je ne peux pas me débrouiller seule. Jʼai besoin de mes parents. Je ne suis pas encore prête, je nʼy arrive pas seule!» Jʼavais peur de ne plus jamais pouvoir mʼarrêter de pleurer. Lorsque mes larmes se sont finalement taries tard dans la nuit, je me suis promise de ne plus jamais me laisser me faire mal ainsi. Je ne voulais plus jamais me sentir aussi impuissante. Pendant beaucoup dʼannées, je nʼai plus pleuré de tout mon cœur.

La vie semble maîtrisée

Bientôt ma tête a retrouvé des raisons et des explications qui mʼont permis de couvrir la douleur dans mon cœur. Jʼai prétendu que le divorce de mes parents ne me concernait pas. Vingt ans plus tard, jʼen parlais encore comme dʼun événement du passé sans rapport avec moi: «Mes parents ont divorcé à ce moment-là» au lieu de «mes parents sont divorcés».

Les choses se sont bien passées pendant un moment. Je me suis mariée à vingt ans et jʼai entamé une carrière professionnelle. Ma vie était sous contrôle, extérieurement. Jʼavais recouvert lʼabîme de mon cœur dʼun épais couvercle. Mais au fond de moi, tout cela macérait. Avec le temps, la pression est devenue tellement forte que le couvercle a cédé et tout a trouvé le chemin de la sortie. La douleur, le désespoir et la force des émotions mʼont alors complètement bouleversée. Jʼai essayé dʼapaiser la douleur avec le travail, des médicaments, lʼalcool et le sexe avec dʼautres hommes; pour que le couvercle recouvre à nouveau la douleur, dʼune manière ou dʼune autre, peu importe comment.

Cela a fonctionné quelquefois et je vivais ma vie comme si tout était en ordre. Mais après plusieurs crises, mon mariage se soldait par un échec, après seulement quatre ans. Jʼétais alors en train de vivre ma cinquième aventure extraconjugale. Mon mari et moi nous sommes séparés. Jʼai déménagé.

L’offre de mon mari

Jʼai finalement dû admettre que jʼavais perdu tout contrôle. Jʼétais à bout. Tout était mort et vide en moi. Je ne ressentais rien, aucun remord, aucun regret. Juste une douleur engourdissante. Je mʼétais battue pendant des années pour mon cœur. Jʼavais essayé de me maintenir en vie, de maîtriser ma douleur, de trouver le moyen de vivre avec. Mais jʼétais continuellement submergée par la violence de la douleur contre laquelle je ne pouvais rien faire. Arrivée tout au fond, j’ai dû accepter que je ne pouvais pas soulager ma douleur seule et que le temps ne guérissait pas mes blessures.
Mon mari croyant a finalement prié pour notre mariage et confié ma vie à Dieu. Il ne voyait plus dʼautre solution. Il désirait me haïr parce que je lʼavais profondément blessé. Mais il a reçu alors un tout nouvel amour pour moi. Et la pensée suivante a rempli son cœur: «Elle va revenir vers toi et quand elle reviendra, accueille-là!»
Quelques jours plus tard, je me tenais en effet devant sa porte. Je voulais lui parler. Il mʼa proposé de mʼaider à faire mes bagages là où je vivais désormais et à tout ramener chez lui. Jʼai été totalement prise de court par son offre.

Jʼai trouvé la force dʼaccepter et de me laisser ramener à la maison, même si je ne me souviens plus très bien comment. Nous vivions alors dans un appartement dʼune seule pièce. A mon retour, ni notre appartement, ni notre relation ne me donnaient l’impression d’être «à la maison». Mon mari dormait dans son lit, moi sur le canapé. Nous ne voyions pas le chemin; tout ce que nous savions, cʼest que nous voulions rester ensemble et rester fidèles à notre promesse de mariage.

Nous avons de plus en plus souvent prié ensemble. Un passage biblique nous nous a marqués et accompagnés: «Cherchez dʼabord le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par-dessus.» (Evangile de Matthieu 6,33). Pour nous, cela signifiait alors que notre relation avec Dieu et celle qui nous unissait était plus importante que tout le reste. Nous avons passé beaucoup de temps à parler et à prier ensemble.

Guérison spontanée

Pour moi, il était clair que je devais couper avec mon ancienne vie si je voulais vraiment vivre un nouveau départ. Jʼai quitté mon emploi. Nous avons parlé avec un pasteur et son épouse des possibilités de thérapie et de suivi spirituel et nous avons cherché un plus grand appartement où nous pourrions vivre dans des pièces séparées. Mais nous nʼavons eu ni le temps de faire une thérapie, ni de vivre en colocation. Car un miracle s’est produit. Simplement. Sans que nous ne le méritions.

Mon mariage a été rétabli et la relation avec mon mari renouvelée. La confiance a été restaurée, la proximité émotionnelle retrouvée et mes blessures ont été guéries complètement. Trois mois seulement après notre séparation, je suis tombée enceinte. Un autre miracle: le premier de nos six enfants.

Un désir cher à mon cœur a ainsi été satisfait. Le Ciel mʼa fait le cadeau d’une famille. Cʼest ainsi que le chemin personnel de guérison et de restauration de mon cœur a commencé.

Jʼai abandonné mes résistances. Jʼai cessé de prétendre que tout allait bien, comme si le passé ne mʼavait pas dérangé et que cela avait été mieux ainsi. Pour la première fois de ma vie, jʼai trouvé la force de me tenir sur le bord et de regarder lʼabîme en face. Plus de couvercle, accepter la douleur et aller avec elle à la rencontre de Jésus. Pas quʼune fois. Continuellement. Parfois seulement un petit moment, parfois plus longtemps. Jamais seule; jʼai toujours senti la présence divine à mes côtés.

Le gouffre se remplit

Ce que je viens de décrire en quelques phrases a été en réalité un processus qui s’est étalé sur de nombreuses années. Jʼai encore et encore dû faire face à cet abîme en moi et cela mʼa fait paniquer à chaque fois. Jʼavais peur. Je ne pouvais pas supporter de ressentir cette douleur intérieure. Celle qui me submergerait encore à nouveau jusquʼà ce que je ne puisse plus mʼarrêter de pleurer. Jʼétais parfois sur le point de perdre la tête.

Mon amie Inka Hammond, dans son livre Tochter Gottes, erhebe dich (en français: «Fille de Dieu, relève-toi»), le formule si bien avec «de la douleur à la victoire»; ce nʼest pas un moyen facile et il nʼy a pas de raccourci. Cela mʼa pris vingt ans. Vingt ans, jusquʼà ce que je puisse dire que cet abîme s’était rempli dans mon cœur et fermé. Il nʼétait plus recouvert dʼun couvercle de fortune, mais complètement rempli et refermé. Jʼai, en conséquence, de nouveau un terrain solide sous mes pieds. L’amour de Dieu me procure le soutien nécessaire. Je suis à la maison avec lui.

Jʼai ma mère et mon père. Jʼai une relation apaisée avec les deux. Cʼest aussi un miracle. Mais je nʼai plus de couple de parents.

Antschana SCHNAAR

Magazine Family

Article tiré du numéro Family 1/20 Février – Avril 2020

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