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Covid: les enfants ressentent l’angoisse des adultes

enfant masqué pendant la Covid inquiet dans les bras de sa mère
© Istock
La crise de la Covid a grandement impacté la vie des enfants. Quelles en sont les conséquences à long terme? Entretien avec Adeline Yamnahakki, pédopsychiatre.
Sandrine Roulet

Pédopsychiatre en Suisse romande, Adeline Yamanhakki-Bossy revient sur les effets du confinement sur les enfants. Elle relève que les petits ont été davantage impactés par l’aspect social de la crise, notamment par le stress supplémentaire que le confinement a pu imposer aux parents. Ces derniers font en effet office de «tampon» entre la vie extérieure et intérieure de l’enfant.

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Quel impact le semi-confinement (en Suisse) et confinement (en France) ont pu avoir sur les enfants?
En général, les enfants s’en sont plutôt bien sortis, ils ont apprécié d’être dans un environnement calme, avec moins de stress pour aller et revenir de l’école. La présence de leurs camarades leur a bien sûr manqué mais certains ont bénéficié d’une plus grande présence parentale, ce qui a fortifié les liens. Sauf dans les situations où le stress a augmenté parce que les parents devaient télétravailler et s’occuper en même temps d’un enfant peu autonome. L’école a pu être laissée de côté et certains enfants n’ont pas pu suivre le programme scolaire. En étant retenus à la maison, ils ont plutôt été confrontés à la situation sociale que sanitaire de la crise. Les plus grosses difficultés sont survenues pour les enfants qui ont besoin de soutien pédagogique spécialisé. Les enfants avec des traits autistiques, eux, s’en sont mieux sortis car ils ont moins été exposés à une surcharge sociale. Mais l’impact résultait souvent directement de la réaction des parents et de leur capacité à ne pas être eux-mêmes dans l’angoisse.

Et l’impact sur les plus grands?
Pour les adolescents, l’impact de la crise a été beaucoup plus important: la vie sociale extérieure a été bloquée. Ils ont eu recours à des échanges par réseaux sociaux, avec une avidité dédoublée de pouvoir se rencontrer de nouveau, faire la fête, se toucher. Le toucher (tendresse, «hug») sert à tisser des liens, il favorise le lien d’attachement.
Cette distance imposée a créé une sorte de sidération, un gel par rapport à tout échange affectif. Certains jeunes ont simplement contourné la loi et se sont sentis en rupture avec le monde des adultes. Pour certains, ce qui a été difficile, c’est la distanciation avec les membres de la famille, surtout les grands-parents.

La crise sanitaire a-t-elle pu constituer un événement traumatique?
Tout dépend encore de la réaction des parents. Ils sont le tampon entre la vie intérieure de l’enfant et le monde extérieur. Ce sont eux qui lui permettent de digérer les événements et de leur donner une importance plus ou moins dramatique. Selon mon expérience et celle de mes collègues, peu d’enfants ont manifesté des signes de traumatisme.
L’inquiétude - qu’il y a pu avoir - était liée à la surcharge des parents, qui ont dû tout gérer. Ce n’est donc pas la crise sanitaire mais la réaction des parents qui a compté pour les enfants. Parmi les échanges que j’ai eus avec mes patients, je n’ai pas été amenée à suivre des enfants ayant vécu la perte d’un proche.

Si un enfant a des craintes pour la santé d’un parent à risque ou d’un grand-parent, comment le rassurer?
La Covid a réifié la mort, car elle était évacuée ou montrée à travers des vitrines artificielles (films, séries, etc.). La société a été confrontée tout à nouveau au fait que la mort fait partie de cette vie sur terre et qu’il s’agit donc d’éduquer les enfants sur ce sujet. Les questions existentielles sur nos croyances telles que «Dieu existe-t-il? Que se passe-t-il après la mort?» ont été réactualisées.
La façon dont ces questions-là sont gérées dépend des croyances des familles, de leur contexte culturel et entourage social. Mais la peur de la mort renvoie à nos valeurs les plus importantes. Les enfants peuvent avoir peur de perdre un grand-parent, ce n’est pas nouveau, mais cela a été rendu beaucoup plus présent.

Comment réagir si un enfant manifeste encore des signes d’anxiété?
Il existe beaucoup de ressources, comme des récits et des narrations qui peuvent apaiser l’enfant. Par exemple, on trouve sur YouTube des vidéos d’une art-thérapeute qui explique la Covid aux tout-petits de manière sympathique. Si un traumatisme est encore présent, ce n’est pas lié au virus lui-même mais à tous les signes d’anxiété de l’entourage et là, c’est aux parents de proposer un environnement stable et rassurant.

L’environnement scolaire, les copains, même la maîtresse ont manqué à beaucoup d’enfants. Quels enseignements en tirer?
Beaucoup de parents ont félicité les enseignants car ils se sont rendus compte du défi d’enseigner un enfant sur le plan scolaire. Les camarades ont beaucoup manqué. Cette situation a donné une soif de davantage de contacts réels et pas seulement virtuels. Et cela a permis d’apprécier les petites choses, comme simplement passer du temps ensemble.

Quid du retard scolaire pris par des enfants en difficulté?
En effet, des enfants qui auraient besoin d’aide scolaire se retrouvent sans rien. Il est possible de faire du bon télétravail, même avec des enfants dyslexiques ou ayant d’autres troubles, mais toute la charge est reportée sur les parents. Si le parent est plus disponible, l’enfant en profite aussi. Maintenant, la grosse inquiétude, ce sont toutes les situations de décompensation, parce qu’il y a eu une accumulation de stress chez les parents et une augmentation des risques de violence et d’abus dans le cadre familial. Ce sont les services de protection de la jeunesse, les écoles et les pédiatres qui vont détecter ce type de conséquences.

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