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Tu seras un homme, mon fils

La chronique de Myriam Demierre, comédienne, auteur des one-woman-shows «L’école des mères» et «O temps des mères»

Le problème, quand on a un garçon, ce n’est pas de devoir gérer les bagarres dans la cour d’école (les lunettes de l’ennemi juré qu’il faut rembourser), ce ne sont pas les remarques dans l’agenda (si nombreuses que je pourrais éditer un florilège) ni les innombrables paires de pantalons troués… Non. Le vrai problème, quand on a un garçon, ce sont ces courriers de la Confédération helvétique qui commencent à affluer dans la boîte aux lettres à l’aube de ses seize ans et qui me rappellent sournoisement, alors qu’il n’a même pas encore de poil au menton, que l’Etat va se charger de faire de mon fils un homme. Que je le veuille ou non. A une autre époque, on aurait dit de la chair à canon…
J’essaie donc de me mettre en mode courageuse et enthousiaste : «Qu’est-ce que tu vas choisir au recrutement ?». Réponse laconique : «Chais pas, m’en fous». Si c’est comme ça, je vais donc essayer de ne pas m’y intéresser non plus. Jusqu’au jour du fameux recrutement. «Alors ? Qu’est-ce que tu as choisi ?». «Infrastructures». Regard désabusé à mon mari : «Ça veut dire quoi ça, infrastructures ? C’est dangereux ?». Regard désabusé de mon mari : «Je sais pas, ça n’existait pas à mon époque». Nous nous tournons les deux vers l’homme en devenir : «C’est quoi, infrastructures ?». «Chais pas, m’en fous.»
S’ensuit une longue période d’attente, occupée à tenter de décrocher le fameux papier de fin d’études, jusqu’à l’arrivée du jour maudit, celui où l’Etat vient réclamer son dû, tel un dragon exigeant le sacrifice d’une jeune vierge. J’ose la question : «Tu as une liste de choses à prendre ? Des achats à faire ?». «T’inquiète, je gère». J’accompagne au train celui qui s’apprête à perdre le statut de «Monsieur» pour se voir désormais affubler de celui de «recrue», et agite la main pour lui dire au revoir. Deux longs jours passent, à tenter de ne pas me focaliser sur cette place étrangement vide à table. Jusqu’au soir où je reçois un email. Toute heureuse d’avoir des nouvelles, j’ouvre le message et lis : «Salut, j’aurais besoin que tu m’envoies de toute urgence ma brosse à dents, du dentifrice, un linge de bain, des paires de chaussettes de tennis noires, du savon-douche. Mon adresse : …»

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