Lorsque la maladie frappe un jeune couple
Un «coup de tonnerre»
«C’était vraiment la sidération. J’étais désespérée et, en plus, je ne comprenais pas ce qui se passait», confie Amélie. Mariés depuis deux ans, elle et Hubert mènent une vie de couple heureuse, pourtant marquée par un coup dur. En effet, un an après leur mariage, le couple tombe de haut quand le médecin leur annonce qu’ils ne pourront jamais avoir d’enfant de manière naturelle. «Quand on apprend une nouvelle pareille, c’est comme un coup de tonnerre, parce que c’est totalement inattendu. Ce n’est pas dans notre raisonnement, ce n’est pas dans notre projet, ce n’est pas dans notre façon d’envisager les choses et donc, à ce moment-là, on est juste à nu avec cette réalité-là», lâche Hubert.
«Un tel diagnostic change immanquablement la vie du couple, sa vision des choses et ses priorités, surtout pour un jeune couple», confirme Roselyne Randriamanao, psychiatre et psychothérapeute spécialiste de l’accompagnement lors de maladies graves, dans la fin de la vie et le travail de deuil. «Quand la maladie survient, la plupart des jeunes couples que je reçois dans mon cabinet ressentent un sentiment d’impuissance, de désarroi et de peur face à l’inconnu.» Les étapes qui suivent l’annonce ressemblent à celles vécues lors d’un deuil: «D’abord, le choc et le déni. La personne atteinte réfute le diagnostic, le minimise, refuse d’en parler», explique la psychiatre. «Après seulement surviennent la colère, la tristesse et, finalement, l’acceptation.» Et s’il n’y a pas de guérison possible? «Le conjoint devra éventuellement faire aussi le deuil de la vie qu’il aurait aimé avoir avec elle et des projets qu’ils avaient ensemble», répond encore la spécialiste.
Cela dit, tout le monde ne réagit pas de la même façon. Saïd, lui, est marié depuis quatre ans avec Habiba. C’est lors d’une simple visite de contrôle que la trentenaire apprend, il y a deux ans, qu’elle est atteinte d’une leucémie. A l’annonce de la maladie, tout le système conjugal du jeune couple, fortement ébranlé, se désorganise. Sa femme perpétuellement hospitalisée, l’heure est venue pour le jeune mari d’assumer d’autres fonctions, de tenir un nouveau rôle, celui d’un soutien, d’une aide.
«Pourquoi nous?»
Pour certains, l’idée de continuer à penser encore comme un couple et à s’autoriser des moments d’intimité et de plaisir devient impossible. «Cela suscite une forte culpabilité. Les relations sexuelles deviennent une trahison au regard de la souffrance. Elle équivaut à oublier la maladie», explique Maria. «Nous n’avons plus la même intimité qu’avant. On a parfois l’impression de voler quelque chose», confient les jeunes amoureux. Elle et Paul se sont rencontrés pendant leurs études. Après six mois de mariage, la nouvelle tombe. Le médecin leur annonce que Maria a un cancer de sein. «En rentrant dans la voiture, ma première réaction était le déni: le médecin s’est certainement trompé de dossier, il s’est planté. Je ne voulais vraiment pas y croire. Mais la maladie est bel et bien là.»
Séverine et Antoine ont également été sonnés, le jour où ils ont appris le diagnostic quant à la fibromyalgie de Séverine. «Quand j’ai compris qu’avec cette maladie, je pouvais finir en fauteuil roulant, tout mon corps et mon cœur se sont concentrés dans mon esprit pour exprimer un immense «non». Des questions. Des sentiments de révolte. Qu’est-ce qui se passe? Pourquoi cela nous arrive-t-il?» Pacsés il y a plus de deux ans, Séverine et Antoine ont encore du mal à traverser cette épreuve. Cette blessure de la fibromyalgie demeurera pour eux un véritable chemin de croix…
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«La maladie, une part de notre histoire»
Difficile, en effet, de circonscrire la maladie à une seule case de son existence. Elle devient rapidement omniprésente, comme nous le confient Asma et Ibrahim: «Tous les deux, quand on se retrouve, on ne pense qu’à la drépanocytose. On y pense pratiquement tous les jours. Elle fait partie de notre histoire.» Le supportent-ils? «La chance que l’on a eue, c’est qu’on a tout de suite parlé de manière très frontale et très directe. D’abord, on s’est rappelé qu’on est un couple. Il a fallu qu’on s’apaise petit à petit pour sentir la douceur de notre amour», résume Asma.
Pendant plus de cinq années de mariage, la vie du jeune couple est mise entre parenthèses, suspendue aux traitements et aux allers-retours à l’hôpital. Ibrahim fait des crises de drépanocytose (une maladie génétique liée au sang) pouvant être extrêmement douloureuses. Asma décide cependant de faire preuve de courage. «On ne peut pas écarter quelqu’un de sa vie simplement parce que tout n’est pas parfait. Il avait l’air en si bonne santé. Cela aurait été trop facile de laisser la drépanocytose nous séparer.» Et d’ajouter: «Je savais qu’Ibrahim avait la drépanocytose avant que l’on ne se fréquente. Puis, quand nous nous sommes rencontrés, je l’ai trouvé drôle, intelligent. Je voulais simplement être avec lui, drépanocytose ou non. Cela peut paraître cliché, mais pour moi c’était la rencontre de ma vie. La drépanocytose fait partie de notre histoire depuis le début. Je ne me suis jamais fait d’illusions, mais j’ai toujours eu de l’espoir.»
Savoir se préserver aussi…
L’amour peut donc survivre à la maladie, même si le couple ne sort jamais totalement indemne dans ce genre de situation douloureuse. «Nous avons toujours été là l’un pour l’autre, très soudés. La maladie casse quelque chose dans notre façon de vivre, mais nos sentiments sont intacts», témoigne à son tour Mahé après six années de mariage, dont deux ans où elle et son conjoint Poapie se battent contre un cancer de poumon. «Tout au long de sa maladie, j’ai soutenu et accompagné mon conjoint, même dans les moments de découragement», confie-t-elle encore. «Mon seul regret aujourd’hui est d’avoir refusé l’aide que m’offrait mon entourage. J’ai failli y laisser ma peau.»
C’est que vivre avec une épouse ou un époux malade est exigeant, physiquement et émotionnellement. Dans Quand la vie se fragilise (éd. Multimondes), l’infirmière France Cardinal Remete rappelle «qu’aider et soutenir son conjoint malade ne doit pas se faire au détriment de sa propre santé». Par ailleurs, il s’agit d’essayer, le plus possible, de maintenir la relation avec le malade telle qu’elle était auparavant. On ne doit pas devenir la «mère», «le père» ou «l’infirmière» alors qu’on est l’époux, l’épouse, le partenaire de vie. On peut être un soutien par sa seule et fidèle présence, privilégier la parole, qui ne fera que resserrer les liens. C’est là tout l’enjeu de l’accompagnement et du vrai amour: être ensemble, vivre ensemble dans l’épreuve coûte que coûte, comme on l’a fait avant celle-ci, et comme on le fera après cette difficile traversée…
Nasra Anassi Taraconat