Familles: parler pour ne pas se perdre
Dans la Bible, Joseph est le fils préféré de Jacob. Ce favoritisme, aussi injuste qu’évident, provoque la jalousie légitime de ses frères, qui finissent par le maltraiter jusqu’à le vendre. Bien des années plus tard, les retrouvailles ont lieu – mais à quel prix? Le chemin vers la réconciliation aura été pavé de douleurs, de trahison et de silence. Et une question persiste: pourquoi les frères n’ont-ils jamais osé dire à leur père combien son attitude les blessait? Pourquoi ont-ils choisi le non-dit – ce silence lourd – plutôt que la parole, même difficile?
Ce drame familial ancien résonne étrangement à notre époque. Aujourd’hui encore, dans de nombreuses familles, on préfère ravaler sa peine en ce qui concerne des sujets délicats plutôt que de risquer un conflit. Alors les émotions s’enfouissent et les blessures s’installent. Les enfants n’osent pas remettre en question l’autorité parentale. Les parents, de leur côté, ne perçoivent pas les tensions qu’ils provoquent. Et petit à petit, l’incompréhension devient fracture. Comme dans le cas de Joseph, certains en arrivent à des gestes extrêmes. Et trop souvent, la solution semble être la rupture: couper les ponts pour ne plus souffrir.
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La communication trop souvent délaissée
Mais est-ce vraiment le désaccord qui détruit les relations ou l’accumulation des silences? Exprimer ce que l’on ressent demande du courage. Parler vrai, même adulte, face à ses parents, peut sembler impossible. Pourtant, comme l’écrit le philosophe Georges-Pierre Tonnelier, «il faut toujours trouver le courage de parler et l’envie de clarifier les choses. Parce que les silences pèsent comme des pierres et les pierres deviennent des murs et les murs, enfin, séparent.»
Le psychosociologue Jacques Salomé ajoute lui aussi: «Tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime.» Ces mots résonnent comme un appel à oser dire. Pour le bien de nos relations, mais surtout pour notre propre équilibre intérieur, il faut parler. Affirmer ce que l’on ressent, poser ses limites, exprimer sa peine, non pour accuser, juger mais pour rester reliés. Parler pour que le lien demeure vivant.
Pour ne pas se murer dans le silence
Ce ne sont ni les conflits, ni les désaccords qui brisent les familles, mais le silence qui les entoure. Jacob n’a pas mesuré la douleur qu’il causait. Comme tant de parents aujourd’hui, il a fait de son mieux avec ses blessures. Mais cela ne suffit pas toujours.
Rester dans la vérité. Oser dire ce qui a été blessé. Chercher à comprendre, à clarifier, à guérir. C’est dans cette démarche de cœur que la paix devient possible. La parole, même fragile, ouvre une voie vers l’amour, la réparation, le pardon. Car au fond, se couper des siens n’est jamais une libération, mais une souffrance de plus. Et c’est la parole, parfois maladroite mais sincère, qui nous empêche de nous perdre.