Mon grand-père, mon héros
Pour le meilleur et pour le pire
Pourtant aujourd’hui, l’acte de dévouement ultime de nos sociétés ne se fait pas sur le champ de bataille, mais à l’intérieur de nos domiciles. Une de mes plus belles leçons de vie m’a été donnée par mon grand-père maternel. Sa vie - du moins ses quinze dernières années - il l’a consacrée à ma grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Avec son âge, ses moyens financiers et sa santé, il aurait pu profiter d’une retraite bien méritée pour s’impliquer dans des clubs de loisirs, faire des croisières autour du monde, acheter un grand camping-car, mais non, rien ne l’intéressait sinon ma grand-mère.
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La maladie avait commencé par des oublis anodins: des oublis de rendez-vous, de numéros de téléphone (à l’époque tout le monde connaissait au moins une dizaine de numéros par cœur) et des inversions de prénoms. Vinrent ensuite les incohérences, comme mettre une doudoune en plein été, croire qu’on à trente-cinq ans quand on a plus du double mais aussi les propos confus, les sautes d’humeur, les larcins de petites cuillères et les fugues. Mais mon grand-père était toujours là, le regard plein d’amour. Il ne voyait pas la personne devenue grabataire sur son fauteuil roulant, incapable de dire un mot, de tenir un objet ni de se laver seule. Non, il voyait sa femme, celle qu’il avait épousée, qu’il avait promis d’aimer jusqu’à la fin et dont il était toujours follement amoureux. Il lui offrait des fleurs, faisait venir un coiffeur à domicile pour qu’elle reste coquette et digne.
Ce dévouement ne pouvait venir que d’une discipline stricte: le choix délibéré et sans cesse renouvelé de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Mon grand-père fut le héros de mon enfance, sans cape mais avec une calvitie et de grosses lunettes. Il a maintenu ma grand-mère a domicile jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle. Il l’a laissée partir triste mais avec le sentiment du travail accompli. Un an et demi plus tard, il la rejoignait.
La virilité d’un véritable héros
Pourquoi ce partage? Parce que mon grand-père ne devrait être qu’un héros banal parmi des millions d’autres. Mais malheureusement ce n’est pas (encore) le cas. Des études montrent en effet qu’une femme a six fois plus de risque d’être quittée après la découverte d’un cancer ou une sclérose en plaques, qu’un homme dans la même situation. Ce qui est scandaleux. Et si la virilité résidait dans le dévouement, le sacrifice et la parole tenue? Pas besoin de champ de bataille pour la prouver.
Vivre suffit.