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Parler de la croix À nos enfants: trop traumatisant?

© Istockphoto
«La Passion du Christ» de Mel Gibson a suscité des critiques en rapport avec la violence du spectacle. Mais le fait demeure: la croix n’est pas un récit facile pour les adultes, et encore moins pour les enfants. Comment donc aborder cette question sans les perturber? Entretien avec Adeline Yamnahakki, pédopsychiatre.
Rachel Gamper

La souffrance du Christ en croix, n’est-elle pas un récit particulièrement violent pour un enfant?

Bien sûr, les faits sont violents, mais ils ne surchargent pas le système limbique de l’enfant quand ils sont donnés par des parents aimants, si ceux-ci n’insistent pas sur des détails crus. En effet, une information digérée, que le cerveau peut traiter comme un événement historique, permet de la considérer sans qu’elle ne génère des réactions physiques de stress. En revanche, les images «chocs», où les événements sont amenés par des photos troublantes, voire des sons perturbants, dépassent la capacité de l’enfant à gérer ses émotions. Elles peuvent donc entrainer des réactions de stress post-traumatique. Elles tournent en boucle et font revivre des sensations physiques comme l’accélération du rythme cardiaque, la transpiration, les crispations musculaires, les maux de ventre, etc.

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Comment donc aborder la questions sans le choquer?

On ne peut pas éviter la confrontation à la mort. Il suffit d’écraser une mouche devant l’enfant pour qu’il réalise qu’elle ne vole plus. L’idée est plutôt d’accompagner l’enfant en fractionnant les informations, car une évocation, en soi, n’est pas traumatique. Tout dépend de la façon dont elle est amenée et la capacité d’auto-régulation du parent: si l’enfant présente des réactions fortes, il sera nécessaire de l’accompagner, de l’apaiser. Concrètement, les parents qui racontent une histoire en restant calmes dans leur corps aident l’enfant à se réguler dans son corps à lui.

Quels indices permettent d’évaluer la sensibilité d’un enfant sur le sujet?

C’est toute la question du développement en général, un peu comme on adapte le repas à l’âge: on ne va pas donner un steak à un jeune enfant, mais plutôt des purées, sachant que plus il grandit, plus il pourra digérer la nourriture solide. De la même façon, on va adapter les récits et les images à montrer à l’enfant en fonction de son âge. Mais attention, ce n’est pas seulement l’âge chronologique dont il faut tenir compte, c’est aussi l’âge de maturité. Les enfants n’ont pas tous le même développement psychologique au même âge physique. Il s’agit donc pour le parent de tenir compte de son propre enfant, de l’observer au quotidien, et d’évaluer son degré de sensibilité.

Que dire à un conjoint non-croyant pour qui l’évocation de la croix serait jugée «traumatisante»?

Tout dépend de la qualité de la relation conjugale. S’il y a des tensions, on peut imaginer que le problème n’est pas tellement dans le contenu du discours mais plutôt dans le conflit sous-jacent. Mais s’il existe un réel dialogue, on peut amener l’autre parent à réfléchir aux films ou aux récits qu’il est prêt à montrer ou à raconter à l’enfant. Si l’on y pense, la majorité des supports auxquels les enfants accèdent sont assez crus et cruels, avec des sorcières qui tuent, des guerres, des loups qui dévorent, etc. Et ça ne pose aucun problème, par exemple, de présenter l’histoire du Petit Chaperon Rouge aux jeunes enfants…

Les souffrances du Christ peuvent-elles être porteuses d’espoir pour un enfant en situation d’abus?

Je pense que le récit de la croix est avant tout celui d’une victoire et non juste d’une souffrance: le Christ est mort, mais il en est sorti ressuscité! Et je crois que la croix ne se résume pas aux souffrances physiques et psychiques du Christ parce qu’il est écrit qu’il a porté «toutes nos infirmités et toutes nos maladies», y compris dans un sens surnaturel et spirituel. Jésus est donc proche de nous car il n’y a aucune souffrance qu’il ne puisse comprendre. Je pense que pour un enfant en situation d’abus, le fait de savoir que Jésus est passé par ces choses et qu’il s’en est non seulement relevé mais qu’il est aussi en mesure de l’aider à se relever – soit en le guérissant soit en faisant «concourir toutes choses à son bien» – est un message d’espoir pour les enfants. Il serait dommage de les en priver sous prétexte de ne pas les choquer psychologiquement.

Dossier: Spiritualité
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