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Pour leurs 25 ans de mariage elle lui a donné un rein

En juillet 2017, Aline a donné un rein à son mari Bertrand, porteur de la maladie de Berger. Un don ouvrant à la complicité et davantage d’intentionnalité. Ils se livrent pour la toute première fois. Entretien.

Comment l’idée de réaliser ce don de rein est-elle née entre vous?
Bertrand (B): dans la logique génétique, je l’ai suggéré à mes frères et l’aîné a accepté d’entamer les démarches. Aline a aussi décidé de les lancer en parallèle «au cas où». Lorsqu’on a appris que mon frère ne pourrait pas être donneur, là c’est devenu réellement un projet de couple. Je me suis demandé pour chacun si j’étais capable d’accepter ce don. Ce choix pouvait-il brouiller et affecter notre relation de couple? Laisserait-on s’installer une forme de soumission ou de dépendance? Pourrais-je rester moi-même et libre de lui témoigner mes sentiments? J’ai craint que le don ne déséquilibre notre relation à venir.

Aline (A): Face à ma décision, j’ai eu un moment de recul. Je me disais que je ne pouvais pas être sa femme, la mère de ses enfants et me situer dans ce rapport de soignante en lui donnant un rein. Je trouvais que ce n’était pas très sain. Et puis j’ai réalisé que si cela avait été pour l’un de mes enfants ou ma sœur, je n’aurais pas eu d’hésitation. Ces barrières n’étaient pas insurmontables. Bien sûr, des gens nous ont interpellés sur la «folie» que cela représentait, mais là j’étais certaine de mon choix alors que j’ai plutôt naturellement tendance à douter de moi. J’ai vécu une joie vraiment profonde à entrer dans cette démarche.

Comment vous êtes-vous préparés à cette opération?
B: La préparation s’est déroulée entre février et juillet 2017. Pour mon frère comme pour elle, il me paraissait vraiment fondamental de laisser le donneur libre de son choix jusqu’au dernier moment, prêt à accepter sans colère ni ressentiment un éventuel changement de décision. C’était vraiment mon intention.

A: Je me suis sentie libre dans mon choix. Je n’ai ressenti aucune forme de pression. Il a fallu que nous soyons très clairs entre nous. Et j’ai pu vivre cette démarche à la fois comme une aventure de couple et une aventure personnelle.

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Quelles étaient vos émotions à l’approche de l’opération?
A: L’opération a eu lieu le 5 juillet 2017. C’était un moment très intense. Nous sommes entrés la veille à l’hôpital. Le soir, on a été autorisés à dîner à l’extérieur et on a senti qu’on vivait quelque chose d’extraordinaire. Cette démarche était aussi forte qu’un second mariage. Je me suis demandé où j’en étais dans ma relation de couple et ce que j’avais envie de vivre avec Bertrand. C’était comme un second engagement avec lui, l’année de nos vingt-cinq ans de mariage.

Le lendemain, le jour J, vous étiez là aussi très proches l’un de l’autre dans la salle d’opération…
B: Lors d’une greffe de donneurs vivants, l’opération a lieu en même temps, à trente ou quarante minutes de décalage. Le receveur est endormi lorsque le donneur se fait opérer. Je me suis réveillé un peu incrédule, comme sorti d’un rêve. Je me disais «ça y est ça a marché», même si en réalité, il faut attendre jusqu’à un an après l’opération pour confirmer qu’il n’y a pas de rejet de la greffe.

A: Bien sûr, j’avais une sacrée appréhension et puis on se réveille côte à côte, comme avant mais pas tout à fait! C’était un grand soulagement quand le chirurgien est venu nous annoncer que la greffe avait marché. En pré-opératoire, il nous avait prévenus: «Il arrive qu’on prélève un rein et qu’on ne puisse pas le rebrancher ou que le rein donné “ne redémarre pas”.» Il y avait ce risque. Ce fut le pic émotionnel de l’opération!

Qu’avez-vous découvert sur vous-mêmes à travers cette épreuve?
A: J’ai appris que dans l’adversité, j’ai beaucoup de ressources et une vraie force de vie. Et chez Bertrand, j’ai vu du courage et une absence de colère. Je ne l’ai jamais vu se révolter contre la maladie ou contre la dialyse. Une vraie résilience.

B: J’ai appris à recevoir. Et pourtant, certaines personnes m’ont demandé comment je pouvais accepter une chose pareille. On m’a proposé un énorme cadeau, j’ai su l’apprécier. J’ai augmenté cette sensibilité à recevoir et à donner aux autres. J’ai aussi découvert ma capacité à
accorder une confiance totale aux autres médecins.

Et dans votre vie de couple, cette opération a-t-elle changé votre relation?
A: Je l’ai vécue comme un renouveau. Cette expérience nous a permis de questionner notre amour tout à nouveau et de se choisir l’un l’autre. Je reçois plus facilement les marques d’amour et d’attention de Bertrand et des enfants, alors que j’étais plus à l’aise dans le rôle de donneur.

B: Finalement, notre relation n’a pas beaucoup bougé, sinon dans le bon sens du terme. Je sens que je garde cette liberté et que nous gardons des relations naturelles. On continue notre chemin sans fusion ni dépendance. Cette démarche a été possible grâce à notre mode relationnel très intuitif. Il y a là une forme de grâce, ce don d’amour qui se fait en harmonie, sans «être obligé de» mais, au contraire, avec naturel.

A: De plus, cela a augmenté la confiance en notre amour. Notre liberté individuelle a grandi. J’en suis reconnaissante. Aux couples, à nos enfants adultes aujourd’hui je veux dire que cette histoire est la nôtre et que se sentir capable de donner un organe à son conjoint n’est pas un curseur à prendre pour juger si leur amour est assez fort ou assez vrai. En d’autres termes, si je ne me sens pas capable de donner un organe à mon conjoint, est-ce que cela voudrait dire que je ne l’aime pas assez? Certainement pas, même si sans amour c’est impossible!

B: Je ne me sens pas redevable mais j’exprime très volontiers ma gratitude. Aujourd’hui, lorsque nous sommes en randonnée ou au ski, j’aime bien lancer à Aline: «C’est parce qu’un jour tu m’as donné un rein qu’on peut vivre ce moment-là aujourd’hui, je t’en remercie.»

Quelle est votre compréhension du don de soi désormais?
A: Dans le don de soi, il y a le «moi» qui donne et «l’autre» qui reçoit et accepte le don. Ce mouvement permet à la vie et à l’amour de circuler. Pour moi c’était comme mettre un enfant au monde. La vie émerge et on est associé à l’expérience, même si cela nous dépasse complètement. Cette joie profonde de l’expérience, je l’ai vécue comme une chance, une expérience hors de l’ordinaire. L’incarnation de notre amour en actes.

B: Le don de soi est aussi un acte de courage et d’abnégation, impossible sans renoncer à une part d’orgueil. C’est aussi savoir se décentrer par amour pour offrir plus de vie à l’autre: grandir chacun et ensemble. Enfin, c’était pour moi l’expérience de recevoir un cadeau qui n’a pas de prix et qui ne pourra jamais être rendu à sa hauteur. Aline ne me demandera jamais de le lui rendre. Il s’est fait par amour. C’est le don gratuit reçu gratuitement. 

Propos recueillis par Christelle Bankolé, journaliste, et Nicole Deheuvels, conseillère conjugale

Family 1_2021
Magazine Family

Article tiré du numéro Family 1/21 Février – Avril 2021

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